L’art de la céramique en Tunisie connaîtra son apogée aux XVIIe et XVIIIe siècles. Raqqada, Qallaline et Nabeul abriteront des artisans qui, en s’inspirant des techniques hafside, italienne, hispanique et mauresque et vice versa, excelleront dans l’art de la céramique, ce qui donnera à la céramique tunisienne un rayonnement sans précédent.
Au cours des siècles, la ville de Kairouan a joué un rôle primordial dans la diffusion de la religion musulmane ainsi que dans plusieurs autres domaines, tels que la médecine, les sciences et notamment les arts. Durant cinq siècles, la capitale de l’Ifriqiya est devenue le carrefour de plusieurs civilisations qui ont apporté leur savoir-faire et leurs connaissances, faisant de la ville de Kairouan un pôle de référence dans plusieurs domaines. Et, c’est dans un domaine bien particulier et pourtant méconnu du grand public que la ville des Aghlabides va rayonner et exceller, à savoir celui de la technique de la céramique islamique. A l’époque hafside, l’art de la céramique ne se cantonne pas uniquement à la ville de Kairouan.
A Tunis, les murs des palais et des édifices où se tiennent les réunions politiques sont lambrissés de carreaux de céramique émaillés non plus uniquement du jaune et du vert caractéristique de la ville kairouanaise de Raqqada, mais également d’un beau bleu cobalt ainsi que d’un brun sur fond blanc. Les motifs classiques représentant des animaux peints sur les carreaux de céramique sont progressivement remplacés par des motifs de plus en plus abstraits. Ce sont des potiers installés dans un quartier du faubourg de Bab Souika, appelé Qallaline, qui détiennent le savoir-faire de la céramique et qui vont développer au fur et à mesure cette technique, finissant par la maîtriser parfaitement et l’élever au rang d’art. Elle devient le principal accessoire décoratif dans les palais, les résidences secondaires des notables, les maisons traditionnelles de la médina ainsi que les mosquées.
Dans son livre «savoir-faire des territoires» qui vient de paraître, Alya Hamza se pose la question de l’introduction de l’art de la céramique en Tunisie: serait-ce le Saint Patron Qacim Jellizi, originaire d’Andalousie, qui aurait introduit en Tunisie la technique des ajulezos prononcé «zeliz» en dialecte tunisien? La fabrication des ajulezos va occuper une place centrale au sein du quartier de Qallaline qui ressemble à une ruche d’abeilles. Les artisans s’activent et travaillent à plein rendement, peaufinant et perfectionnant l’art de la céramique qui va connaître un essor considérable au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Celle-ci tire notamment sa facture, sa finesse et sa beauté des influences andalouse et ottomane et de diverses autres civilisations qui apportent leur empreinte. L’art de la céramique tunisienne se démarque par la richesse des palettes de couleurs et des motifs venus d’ailleurs : le bleu cobalt d’origine andalouse est très présent sur les carreaux de céramique. On retrouve également les motif floral d’Asie Mineure et les mosaïques de couleurs du Maroc.
De Raqqada à Nabeul, en passant par Qallaline
Toutefois, malgré l’extrême beauté et élégance de la céramique tunisoise, la concurrence des carreaux de céramique importés de Naples va avoir raison du savoir-faire et de l’activité florissante du centre de Qallaline qui va finir par disparaître. De Qallaline où il a connu son âge d’or, l’art de la céramique se déplace à Gammarth où il se voit attribuer une place de choix qui s’explique notamment par l’intérêt que lui porte le ministre du bey de l’époque. La céramique tunisoise n’a plus sa place au pied de la colline de Gammarth où des artisans sardes, siciliens et napolitains se sont installés faisant valoir le savoir-faire et la maîtrise de l’art et la fabrication de la céramique italienne qui va s’imposer comme principal élément décoratif dans les édifices, les maisons et les monuments tunisois pendant une dizaine d’années. C’est ensuite au tour de la ville de Nabeul de prendre la relève pour devenir la capitale de la céramique qui ne lui est pas du tout étrangère. Neapolis dans l’Antiquité s’était, en effet, fait connaître pour son activité florissante dans le domaine de la poterie et de la céramique. Et ce ne sont pas les Nabeuliens comme on pourrait le penser mais les Djerbiens qui vont perpétuer la tradition de la fabrication d’articles en céramique. Si les insulaires ont délaissé leur île et Guellala et ont décidé de s’installer sous d’autres cieux, c’est parce qu’ils ont été attirés par les carrières d’argile de bonne qualité de la ville de Neapolis. Les artisans s’installent à «Hay Jerabas», le nom attribué au quartier dans lequel ils vivent en communauté et y travaillent d’arrache-pied, redonnant un nouvel élan à la fabrication de la poterie et de la céramique. La ville de Nabeul devient ainsi un pôle d’excellence et regroupe les meilleurs artisans faïenciers djerbiens qui ne se contentent pas uniquement de maîtriser le savoir-faire local hérité des traditions de Guellala, mais s’inspirent également dans leur travail des techniques tunisoise, italienne, hispano-mauresque et turque pour parfaire leur technique. Jouissant d’une parfaite maîtrise de l’art et des différents procédés et techniques de fabrication de la céramique, ils redonnent vie, avec une facilité déconcertante, à la céramique émaillée polychrome des siècles passés. Les grandes dynasties de potiers et céramistes qui verront alors le jour feront atteindre à l’art de la céramique des sommets inégalés et lui feront vivre un rayonnement sans précédent pendant des siècles.
(Source : Savoir-faire des territoires)